Tuesday 20 October 2015

La Majorité Présidentielle en RDC, une machine politique en ordre de bataille ?

La Majorité Présidentielle en RDC, une machine politique en ordre de bataille ?

  La République démocratique du Congo (RDC) est actuellement à un moment clé de son histoire politique. Une observation attentive de l’évolution du paysage politique congolais est nécessaire afin de saisir les nuances, les freins et les opportunités quant à une alternance politique apaisée, condition d’une paix durable. Les choix que fera dans les prochains mois l’actuel président Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, indiqueront si la RDC prend la voie d’un processus démocratique ou si le pays sera le théâtre de manœuvres politiques ayant pour unique but la conservation du pouvoir. Cet article présente les moyens dont disposent le président Joseph Kabila pour se maintenir au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat.
 
 Une configuration partisane au soutien de Joseph Kabila (2006 – septembre 2015)[1]
 
La majorité présidentielle (MP) regroupe la famille politique au sens large qui soutient Joseph Kabila. Celle-ci comprend le parti présidentiel PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie) dont Joseph Kabila est l’autorité morale, ainsi qu’un grand nombre de partis satellites et autres partenaires politiques (on dénombre près de 200 partis politiques). La majorité des partis qui composent la MP sont qualifiés de « partis mallettes » et se limitent à une existence seulement formelle, avec à leur tête un chef de parti inféodé au pouvoir. En règle générale, ces partis ne disposent pas d’un réel ancrage politique tant au niveau national que provincial. Cette construction politique permet de créer une illusion de puissance de la majorité présidentielle et aide à multiplier le nombre de sièges ‎au Parlement grâce au système de vote proportionnel qui est en vigueur en RDC. La stratégie, jusqu’à présent efficace, a été de multiplier le nombre de ces petits partis satellites afin de gonfler les rangs de la majorité présidentielle.
 
D’autres partis ont une certaine assise en dehors du giron du PPRD et constituent ce que l’on peut appeler les « poids plus ou moins lourds » de la majorité présidentielle. Ils sont présents au Parlement et comptent parmi leurs rangs un nombre non négligeable de députés nationaux. La plupart de ces partis ont un ancrage réel à l’échelle provinciale mais leur poids reste limité sur le plan national. Parmi ces partis figure notamment le  MSR (Mouvement Social pour le Renouveau), dirigé par Pierre Lumbi, ancien conseiller spécial du président en matière de sécurité (il vient d’être révoqué à la suite d’une nouvelle recomposition de la majorité présidentielle en septembre 2015) et originaire de la province du Maniema. Autre parti important de la MP, l’ARC (Alliance pour le renouveau au Congo) d’Olivier Kamitatu, anciennement ministre du Plan (il vient lui aussi d’être révoqué à l’issue du dernier remaniement ministériel) et originaire de la province du Bandundu. Citons aussi l’Unafec (Union nationale des fédéralistes du Congo) de Gabriel  Kyungu wa Kumwanza, président de l’assemblée provinciale du Katanga (seulement dans sa forme initiale, la région ayant été divisée depuis en quatre provinces distinctes), issu du clan Mulubakat comme le père de l’actuel président Kabila et originaire du Nord Katanga. Enfin, on pourrait citer l’AFDC (Alliance des forces démocratiques du Congo) ‎de Bahati Lukwebo, originaire du Sud Kivu et actuel ministre de l’économie nationale.
 
Sans faire directement partie de la majorité présidentielle, certains partis sont considérés comme alliés et soutiennent le président Kabila depuis 2006. C’est le cas du Palu (Parti Lumumbiste unifié), parti historique d’Antoine Gizenga, originaire de la province du Bandundu. Le Palu n’est pas intégré à la plate-forme « Majorité Présidentielle » mais est allié depuis 2006, suite à l’accord de circonstance scellé entre Joseph Kabila et Antoine Gizenga pour battre Jean Pierre Bemba, leader du MLC (Mouvement de Libération du Congo, aujourd’hui parti d’opposition), lors du deuxième tour de l’élection présidentielle. En 2011, un changement constitutionnel a été effectué, et l’élection présidentielle est passée de deux à un seul tour. A cette occasion, le Palu n’avait pas présenté de candidat et avait choisi de se ranger derrière Joseph Kabila. Cette même année, à la suite d’élections décriées aussi bien par des organisations de la société civile que par la communauté internationale, le Palu a vu son nombre de députés au Parlement chuter par rapport aux élections législatives de 2006. A ce jour, le Palu continue de soupçonner la MP d’avoir manœuvré, grâce à l’influence dont celle-ci disposait sur la Ceni (Commission Électorale Nationale Indépendante), pour lui faire perdre bon nombre de députés afin que le parti soit affaibli et ainsi facilement absorbé par la Majorité présidentielle. Soulignons que ces élections de 2011 ont permis à plusieurs membres de la majorité présidentielle d’obtenir des sièges au Parlement alors que de forts soupçons de fraude ont émaillé ces élections, mettant notamment en relief la partialité de la Ceni. Le pasteur Ngoy Mulunda, ancien Président de la Ceni, contraint à la démission en 2013, a plusieurs fois répété en milieux restreints que des députés non élus siègent actuellement à l’Assemblée nationale.
 

Les diverses options du maintien au pouvoir de Joseph Kabila

 
Avec l’instrument politique et institutionnel que constitue la MP, couplé à un soutien inconditionnel des forces de sécurité (du moins en apparence), Joseph Kabila garde un très fort ascendant sur la classe politique congolaise qui lui a permis de se maintenir au pouvoir jusqu’à présent. Il achève actuellement son deuxième mandat qui devrait être le dernier selon la Constitution. Toutefois, plusieurs options sont envisagées par son entourage, et sans doute par lui-même, pour se maintenir au pouvoir au-delà de 2016.
 

Le changement de la Constitution par le déverrouillage de l’article 220

 
 Cette option vise à autoriser Joseph Kabila à concourir aux prochaines élections présidentielles de 2016 en lui permettant d’exercer un troisième mandat. Cette manœuvre vise à remettre en cause l’article 220 de la Constitution, qui souligne le caractère intangible des dispositions constitutionnelles et qui limite à deux les mandats du président de la République. Cette stratégie aurait été principalement soutenue par Evariste Boshab, ministre de l’intérieur et de la Sécurité et ancien Secrétaire Générale du PPRD (il a été récemment remplacé au poste de Secrétaire général par Henri Mova Sakani, ancien ambassadeur de la RDC en Belgique).
 

Le Changement du mode de scrutin du président de la république

Ceci conduirait à faire passer le mode de scrutin du Président de la république du suffrage universel direct au mode indirect. En d’autres termes, le président serait élu par le Parlement et non directement par la population comme c’est le cas actuellement. Cette disposition passerait également par un changement de la Constitution et aurait été inspirée par le modèle électoral en cours en Afrique du Sud ou en Angola.
 

Le recensement de la population

 
Cette alternative introduit le caractère obligatoire du recensement administratif avant toute prochaine échéance électorale, qu’elle soit législative ou présidentielle. Ce recensement serait organisé par l’Onip (l’organe Nationale de l’identification de la Population), structure pilotée par le Professeur Adolphe Lumanu, stratège proche de Joseph Kabila. Il fut notamment son ancien Directeur de cabinet puis son ministre de l’intérieur et de la sécurité. Le processus de recensement n’est pas une entreprise simple en RDC en raison de l’immensité du territoire. Par conséquent, une telle manœuvre pourrait permettre au Président Kabila de rester au pouvoir en retardant ou rendant impossible pour « raisons techniques » l’organisation des élections législatives et présidentielle dans les délais requis par la Constitution.
 

Le « glissement » du calendrier electoral

 
A l’image de l’option précédente, il s’agirait de trouver des artifices qui permettraient de reporter l’élection présidentielle au-delà du délai constitutionnel de novembre 2016. Le calendrier électoral dont il est ici question est celui publié par la Commission Électorale Nationale Indépendante, pilotée par l’Abbé Apollinaire Malu Malu[2], un proche du président Kabila et qui serait son conseiller sur les questions électorales. Multiplier les préalables d’ordre technique et/ou financier rendrait l’organisation de l’élection présidentielle impossible dans les délais impartis. Joseph Kabila pourrait ainsi rester 2 à 3 années supplémentaires au pouvoir.
 

Le découpage territorial et la nomination des gouverneurs « provisoires » dans les nouvelles provinces

 
En procédant à l’éclatement de certaines provinces, il en découle un chamboulement sur le plan administratif et financier qui contribuerait notamment à retarder l’élection des nouveaux gouverneurs. Cette « prochaine » élection des gouverneurs dans les provinces nouvellement créées devra précéder toute autre élection comme l’a récemment notifié la Cour constitutionnelle à la Ceni. En attendant ces élections, la Cour constitutionnelle a par ailleurs demandé au gouvernement de prendre des dispositions transitoires. Cette stratégie aurait été élaborée par des membres de la Cour constitutionnelle, sous le l’influence de l’actuel ministre de l’intérieur Évariste Boshab. On cite également le professeur Bob Kabamba, professeur en Science Politique à l’Université de Liège en Belgique, un  citoyen congolais naturalisé belge et qui aurait été très discrètement consulté à cet effet. Bob Kabamba[3] serait proche d’Evariste Boshab, du président Kabila et de certains réseaux politiques belges, notamment le MR (Mouvement Réformateur) du député européen et ancien vice premier ministre belge, Louis Michel. Bob Kabamba a également été consulté pour son expertise lors de l’élaboration de la Constitution de la RDC promulgué en février 2006, et a significativement contribué au processus de pacification en RDC et dans la région des Grands Lacs.
 

Le Dialogue avec les partis de l’opposition

 
Cette option consiste à initier des consultations avec l’opposition politique radicale en vue d’harmoniser les cahiers de charges et convoquer un Dialogue national. La conduite d’élections transparentes et apaisées dans le respect du calendrier électoral publié par la Ceni deviendrait l’objectif principal de construction d’un consensus. L’idée derrière cette manœuvre serait de parvenir à convaincre l’opposition de la nécessité d’une transition politique en RDC, laquelle permettrait à Joseph Kabila de conserver la tête du pays pour quelques années supplémentaires, en contrepartie d’un partage du pouvoir. Une telle transition pourrait impliquer un nouvel ordre constitutionnel et la remise des compteurs à zéro en ce qui concerne notamment le nombre de mandats du président Kabila. Cette alternative serait principalement soutenue par Kalev Mutond, administrateur général de l’ANR (l’Agence Nationale de renseignements) ainsi que par le Directeur de cabinet de Joseph Kabila, Maitre Mwilanya Néhémie et Maitre Norbert Nkulu, ancien ambassadeur de la RDC au Rwanda.
 

Manœuvres mises en œuvre

 
Ces diverses options ont été examinées et l’idée du changement de la Constitution est longtemps restée d’actualité pour Joseph Kabila, mais cette éventualité semble avoir été jugée trop risquée, et ce principalement à la suite des événements du 19-23 janvier 2015 et la pression internationale qui s’en est suivie. La population, particulièrement à Kinshasa, Goma, Bukavu (provinces du Nord et Sud Kivu) et dans une moindre mesure à Kisangani (province orientale) et à Kimpese (province du Bas Congo) s’était en effet massivement soulevée contre le régime pour protester contre le vote du Sénat visant à modifier l’article 8 de la loi électorale. Cet article controversé aurait conditionné les élections à un recensement national et aurait permis au président Kabila de rester au pouvoir en prolongeant son mandat‎. Ce soulèvement populaire, qui a fait de nombreuses victimes[4], a toutefois poussé le parlement à retirer l’article 8 de la loi électorale, marquant ainsi une victoire de la population face au pouvoir en place. A la suite de ces événements, la majorité présidentielle semble avoir adopté une nouvelle position et compris qu’il serait désormais difficile d’imposer ce type de décisions à la population[5].
 
Ainsi le gouvernement a du revoir sa stratégie politique et s’appuyer sur de nouvelles options, notamment le mécanisme du découpage des provinces pour retarder les échéances électorales. Au mois de janvier 2015, l’Assemblée Nationale a voté une loi portant sur une nouvelle division administrative du pays qui prévoit l’institution de 26 provinces en lieu et place des 11 provinces actuelles. Ce découpage est effectif depuis le mois de juin dernier. Ceci est censé créer des provinces davantage à dimension humaine dans le cadre de la décentralisation et permettrait de rapprocher les gouvernants des gouvernés. Toutefois, le moment choisi pour promulguer la loi sur ce découpage n’est sans doute pas anodin. Les principaux mobiles semblent ici être la conservation du pouvoir et la limitation du poids de certains leaders de la province du Katanga, notamment Moise Katumbi et Kyungu wa Kumwanza jugés trop indépendants, trop influents ou encore susceptibles d’échapper à l’autorité du président. La « riche » province du Katanga vient ainsi d’être découpée en quatre provinces, ce qui pourrait exacerber les partitions communautaires d’une région déjà assez fortement divisée selon de telles logiques, entre le Nord Katanga (clan du père Kabila) et le Sud Katanga (divisé essentiellement entre les Rund qui sont majoritaires et les Bemba, la communauté de Moise Katumbi). Dans son calcul politique, Joseph Kabila est bien conscient que le clan katangais unifié pourrait représenter une menace pour lui, et tôt ou tard contester son autorité. Jouer la carte tribale serait alors un moyen pour diviser et affaiblir le leadership katangais.
 
Par ailleurs, dans le cadre de ce découpage des provinces, un projet d’ordonnance du Président de la République, adopté en Conseil des ministres, permettrait de nommer des Commissaires spéciaux et leurs adjoints en attendant le « cours normal » de l’élection des gouverneurs. Le dilemme actuel du camp présidentiel consiste à se demander s’il faut nommer des hauts fonctionnaires ou bien des politiques à ces postes de gouverneurs « provisoires ».
 
Concernant la question du Dialogue national, les grands partis de l’opposition, à savoir l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) d’Etienne Tshisekedi[6], le MLC de Jean Pierre Bemba (candidat battu à la présidentielle de 2006 et détenu à la CPI depuis 2008) et l’UNC (Union pour la Nation congolaise) de Vital Kamerhe[7], ont dans un premier temps accueilli cette soudaine ouverture du camp Kabila avec beaucoup de méfiance. Ils continuent de déceler les pièges qui pourraient se cacher derrière un tel Dialogue. Dans l’espace politique congolais, Joseph Kabila est réputé pour sa versatilité, son attentisme et sa difficulté à respecter ses engagements. Il a plus souvent œuvré en tant que diviseur qu’en tant que rassembleur, ce qui n’est pas pour rassurer les leaders de l’opposition. Ainsi, la plupart des partis de l’opposition ont rejeté le dialogue politique sous le format proposé par Joseph Kabila.
 
Pourtant, le plus grand parti d’opposition, l’UDPS d’Etienne Tshisekedi, hier encore très hostile au président Kabila – l’accusant de lui avoir volé la victoire en 2011 – ‎se dit aujourd’hui prêt à participer au Dialogue, à condition que l’évènement soit présidé par un médiateur issu de la communauté internationale. Dans un souci de légitimation de sa démarche, l’UDPS se réfère à l’Accord cadre d’Addis-Abeba et aux Résolutions 2098 et 2211 du Conseil de sécurité qui prônent un dialogue inclusif en prévision des élections de 2016. Il faut souligner que l’UDPS n’est pas actuellement dans une dynamique positive et connait des divisions en interne, avec un leader âgé, souffrant, et qui n’a pas su se renouveler ni même créer une relève significative au sein de son parti. Son fils, Félix Tshisekedi, est régulièrement accusé de négocier avec le camp Kabila pour garantir sa propre survie politique, tirant profit de ses liens familiaux et de l’état de santé de son père pour influencer ses décisions en dehors des lignes du parti. La démarche de Félix Tshisekedi est décriée non seulement par la base de l’UDPS mais aussi et surtout par d’autres leaders du parti. Un groupe de frondeurs a récemment dénoncé la présidence d’Etienne Tshisekedi et demandé des élections anticipées pour élire un nouveau Bureau politique.
 
Quant aux deux autres grands partis de l’opposition, Le MLC et l’UNC, ils considèrent qu’un dialogue politique sous le format proposé par Kabila n’est pour l’heure pas opportun et que si un dialogue devait voir le jour, celui-ci devrait se limiter à une discussion technique tripartite Majorité – Ceni – Opposition. Selon eux, la Ceni reste l’instance appropriée pour examiner les modalités liées au processus électoral, notamment le calendrier et la priorisation de l’ordre des scrutins.
 
Manya Riche
 
[1] Une prochaine Actuelle reviendra sur la reconfiguration de l’espace politique congolais depuis l’émergence de la plateforme G7 composée de partis issus de la majorité présidentielle ainsi que sur la récente démission de Moïse Katumbi du poste de  gouverneur de la riche province minière du Katanga.
[2] A noter qu’en octobre 2015, l’Abbé Malu Malu a été contraint de présenter sa démission pour raisons de santé et que les tractations pour son remplacement sont actuellement en cours.
[5] Toutefois, deux députés de la majorité présidentielle ont récemment déposé au Bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi fixant les modalités d’organisation d’un référendum. Or, les seules domaines pouvant faire l’objet d’un référendum sont le changement de la Constitution, le déplacement du lieu de la capitale et la cession d’une partie du territoire nationale. Le président de l’Assemblée nationale a transmis cette proposition au premier ministre et elle est actuellement sur la table d’Évariste Boshab.
[6] Opposant historique, Etienne Tshisekedi avait obtenu la seconde place lors de l’élection présidentielle de 2011. Aujourd’hui âgé de 80 ans et de santé fragile, il réside en Belgique.
[7] Ancien proche de Kabila et président de l’Assemblée Nationale, Vital Kamerhe est passé à l’opposition en 2009. Il arriva à la troisième place lors de l’élection présidentielle de 2011.
 
Par Afrique Décryptages

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